Muli mariani et muli

Par • Publié dans : Armée romaine

L’organisation d’une légion repose sur la multiplication d’un module de base, le contubernium soit :

8 hommes portant chacun leur armement, leur sarcinae et des vivres pour 3 jours (Flavius Josèphe, La guerre des Juifs, III, 5, p. 312) à 15 jours (Cicéron, Les Tusculanes, II, 16). Chaque légionnaire peut porter jusqu’à 45/50 kg d’où le proverbe « Unde est proverbium tractum est muli mariani » (Frontin, Stratagèmes, 4, 1)

2 calones, tour à tour valets d’armes, muletiers ou bons combattants :

« Sans compter les valets d’armée qui suivaient en grand nombre et qu’il faut inclure dans les combattants car ils prennent part à l’entrainement militaire. En temps de paix, ils sont associé aux manœuvres militaires de leurs maîtres et à la guerre, ils partagent leurs dangers, en sorte qu’ils ne cèdent à personne en expérience et en vigueur, sauf à leurs maitres »
(Flavius Josèphe, La guerre des Juifs, 4, 2, p. 310)

2 mulets (Peddie, 1994 ;- Roth, 1999) pour porter tout le matériel commun au contubernium, soit une tente en cuir, la papilio et ses piquets (40 kg), une meule en basalte (27 kg), 16 ericii improprement appelés pila muralis (39, 2 kg), les outils et paniers (18, 7 kg), la marmite commune (0, 630 kg), l’équipement des calones, une réserve de frumentum…soit un minimum de 145, 53 kg.

Les 8 légionnaires d'un contubernium et leurs mules
Les 8 légionnaires d’un contubernium et leurs mules

Chaque mulet peut supporter de 100 à 150 kg (Milhaud, Coll, 2004) y compris son bât de 20 kg beaucoup plus léger que celui adopté (40kg) par l’Armée française dès 1880 et en service jusqu’en 1975 ! Donc chaque mulet de la légion pourrait porter de 80 à 130 kg de charge utile suivant sa taille, la difficulté et la longueur de l’étape envisagée.
Deux mulets sembleraient donc nécessaires pour charrier la totalité de l’équipement collectif d’un groupe de huit légionnaires.

La légion comprend de 600 (légion césarienne) à 640 contubernia (légion flavienne), elle utilise donc de 1200 à 1280 mulets pour transporter le matériel collectif des groupes de huit hommes.
Elle utilise des dizaines d’autres mulets pour l’artillerie et la cavalerie (voir tableau).

Chariots ou mulets ?

Les chariots à quatre roues, tirés par deux mulets, pouvaient porter jusqu’à 650 kg de charge utile (White, 1984 ;- Anderson, 1999) et parcourir 19 miles, soit environ 30 km, en une dizaine d’heures (Bachrach, 1993 ;- Anderson, 1992 ;- Roth, 1999).
De nombreux textes relatent l’emploi courant de ces équipages et soulignent leurs inconvénients:

  • Suétone (Tibère, 18) témoigne de leur utilisation en Germanie et décrit Tibère obligé de vérifier en permanence la nature et le poids de leur charge.
  • Dion Cassius décrit les légions de Varus encombrées d’ « un grand nombre de chariots et de bêtes de somme comme en pleine paix » (L’Histoire romaine, XLI, 20, 2). Il stigmatise le rôle néfaste de tels trains, en trop grand nombre dans les colonnes, lors du désastre de « Teutoburg », en 9 ap. J.- C. (L’Histoire romaine, LXI, 21, 1).
    Il témoigne de leur utilisation par Trajan, lors des guerres parthique (114-117) pour acheminer ses barques, fabriquées dans les forêts de Nisibe, jusqu’au Tigre (L’Histoire romaine, LXVIII, 26, 1).
  • Hérodien (Histoire romaine, 7, 8, 10) expose leur emploi, lors de la marche de 300 miles (480km) effectuée par les troupes de Maximin le Thrace, entre Sirmium et Aquilée, en 238. Il souligne l’avance d’interminables colonnes « avec une extrême lenteur, à cause du grand nombre de chariots et de provisions qu’on allait rassembler de toute part sur la route ».
Chariot tiré par deux mulets, SCHNITZLER B (Musée de Strasbourg, 2010)
Chariot tiré par deux mulets, SCHNITZLER B (Musée de Strasbourg, 2010)

Un chariot détruit représente une perte de 2 mulets et de 400 à 650 kg de matériel ou de vivres. La disparition d’un mulet se solde par la perte de 80 à 130 kg d’outillage ou de blé.

Animal de bât, sobre et robuste, capable d’agir en tout terrain et quel que soit le climat, le mulet passe pratiquement partout contrairement aux chariots et les colonnes peuvent employer des itinéraires différents pour plus de sûreté.
Il peut transporter les équipements, participer au soutient logistique des légions en livrant le ravitaillement en blé et les munitions (flèches, pila, bois pour les boucliers, pièces de rechange pour l’artillerie…).

1700 à 1800 mulets en service dans une légion, et c’est là un chiffre plancher, nettement en-dessous de la réalité. Voici trois exemples pour vous donner une idée de l’importance du mulet dans l’armée:

  • En février 1901, les troupes françaises engagées en Chine disposent de 2000 mulets et 500 chevaux pour 17 275 hommes soit un ratio de 1 animal pour 7 hommes.
  • Le Corps Expéditionnaire Français en Italie termina sa campagne, en 1944, avec 10 000 mulets.
  • Le 30 aout de la même année, l’Armée française engage 8000 mulets dans les Vosges et en Alsace. Leur nombre atteint 12 000, le 8 mai 1945 !

Présent dans toutes les campagnes de l’Antiquité à 1975 (pour l’Armée française le mulet reste l’animal de bât le plus utilisé, il est le héro silencieux de toutes les guerres et l’avance de chaque troupe se fit toujours au pas de cet animal remarquable.

Bibliographie

ANDERSON J.D., Roman Military supply in North East England, Oxford, British Archaeological Report, British Series 224, 1992, p. 10.
BACHRACH B. S., Animals & Warfare in Early medieval Europe. In: BACHRACH B. S. Ed., Armies and Politics in the Early medieval West, Aldershot, Hampshire, Variorum, 1993, p. 708-751, p. 717.
MILHAUD C., COLL J.L, Utilisation du mulet dans l’armée française, Bull. soc.fr. hist. Méd. Vét., 2004, 3, (1) pp. 60-69.
SCHNITZLER B. , Quelques monuments légionnaires conservés dans les collections strasbourgeoises, p. 123-130 in :, Gertrud Kuhnle, Collectif, Strasbourg-Argentorate : Un camp légionnaire sur le Rhin (Ier au IVe siècle après J-C), Editions des Musées de Strasbourg (28 octobre 2010), pp. 152, p.128 avec photo.
ROTH J.P., The logistic of the Roman army at war (264 B.C. – A.D. 235), Brill, Leiden-Boston, Köln, 1999, vol. XXIII de Columbia Studies in The Classical Tradition, pp. 400, p. 211-213.
WHITE K.D., Greek and Roman technology, Ithaca: Cornell University Press, 1984, p. 137-139.

Auteur : Legion VIII Augusta

Histoire vivante et reconstitution historique du Ier siècle après J.C.

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